Une île quasi-déserte et exilée consacrée à l'art contemporain, l'image de cette fameuse citrouille à pois, voilà ce que m'évoquait la douce sonorité de Naoshima - c'est-à-dire pas grand chose. Et pour être honnête, mon imaginaire avait même transformé la cucurbitacée en champignon géant, sans doute dans un délire psychédélique suite à l'infinité de lumières de Yayoi Kusama. Un matin brumeux, j'embarque à bord d'un ferry pour Naoshima sans vraiment savoir à quoi m'attendre mais j'arrive à bon port. Quelques installations (pas les plus réussies mais très prisées pour les selfies), de jolies et rustiques maisons en bois dont on ressent l'usure et l'histoire - beaucoup de maisons se retrouvent abandonnées, les plus jeunes étant attirés comme des mouches vers la grande toile d'araignée tokyoite, la population de l'île est vieillissante et décroissante - et un bus plus tard, me voici face à un torii, portail shinto marquant la séparation entre le monde physique et le monde spirituel, prenant racine dans le sable avec vue sur la mer intérieure de Seto.



Le ciel est gris, la lumière est douce, les tons oscillent entre le gris et l'or, la mer est calme, les discrets visiteurs se comptent sur les doigts de deux mains, l'atmosphère est sereine. Le gros légume jaune parsemé de pois au loin, nous attire comme des aimants et on a tous un peu la même fascination mêlée de respect, on le mitraille de photos mais dans un silence presque religieux, la vedette de l'île ne se prend pas le chou, elle est ronde, paisible, solaire, facile d'accès; elle parle à tout le monde. Une fois ces vitamines avalées, tous les autres touristes entament le marathon des musées mais moi j'ai envie de minéraux et me balade sur la plage qui regorge de trésors naturels, entre coquillages à ramasser ou à observer lorsque le mollusque est d'humeur sociable et puis je suis littéralement médusée par la beauté du motif qui se dessine sur la texture gélatineuse de l'animal marin. La découverte continue entre nature et installations d'art en plein air, entre Nikki de Saint Phalle, faune et flore. 



Emerveillée et ressourcée, je me mets à la recherche du premier musée et hôtel de l'île mais je n'aperçois pas le bout de son nez  au milieu de la luxuriante végétation, après quelques détours et une bonne montée, j'arrive enfin à la Benesse House, effacée de loin mais au caractère bien trempé une fois approchée. Il est impossible d'avoir une image entière du bâtiment qui dévoilera ses diverses facettes au fur et à mesure de l'expérience sans jamais se montrer en entier. De la pierre, du verre et puis beaucoup de béton, Tadao Ando n'a pas oublié son matériau fétiche bien qu'on soit entouré de forêt. Un peu surprenant au début et puis on se laisse vite bercer par la tranquillité des lieux, la froideur se transforme en douceur, l'architecture d'un premier abord déstabilisante accompagne  finalement on ne peut mieux les oeuvres d'arts (entre le bleu de Sam Francis ou le rosé de Rei Nato) ... et la nature environnante. 


Souvent l'art nous fait rêver ou bien réfléchir, ici il éveille mes sens, je suis dans le moment présent et pleinement consciente. Quand Tadao Ando parle d'architecture comme "un langage universel, une affaire de géométrie mais aussi de spiritualité. Selon les circonstances, on peut choisir un carré ou un triangle, mais, au fond, le résultat de tout cela doit être un lieu qui parle au coeur des humains" il a tout bon, le papier colle parfaitement à la réalité. Je n'ai jamais vu de musée sublimer autant les oeuvres d'art elles-mêmes, l'architecture, la verdoyante nature environnante, la mer et le ciel. Le célèbre architecte originaire d'Osaka "aime les espaces nus, les plans libres, les volumes simples et [il] travaille beaucoup l'idée de transition. Entre le dedans et le dehors, la nature et le construit, l'individu et le monde. [Ses] architectures sont ouvertes au vent, à la lumière et à l'ombre". L'espace créé nous permet non pas de nous focaliser sur une oeuvre puis une autre, mais à l'inverse de considérer tout ce qui nous entoure, ce qui est crée par l'homme, ce qui est offert par la nature, ce qui est plutôt durable, ce qui varie sans cesse comme la lumière ou bien la forme des nuages dans le ciel. D'ailleurs les rayons de soleil percent tout doucement les nuages pour diffuser une lumière plus chaude. Je ressors de la Benesse House (la partie musée uniquement, je ne pouvais pas m'offrir le luxe d'une nuit dans ce lieu d'exception) (remarque la vue depuis ma tente n'a presque rien à lui envier) encore plus apaisée et... éveillée. Me voilà prête pour aller un peu plus loin dans l'exploration, une plage déserte (bon, d'accord elles l'étaient toutes) m'appelle pour tremper les jambes dans l'eau très fraiche et savourer la douce chaleur du soleil sur ma peau nue. 

Naoshima, entre art, nature et sérénité

mardi 11 août 2015



Une île quasi-déserte et exilée consacrée à l'art contemporain, l'image de cette fameuse citrouille à pois, voilà ce que m'évoquait la douce sonorité de Naoshima - c'est-à-dire pas grand chose. Et pour être honnête, mon imaginaire avait même transformé la cucurbitacée en champignon géant, sans doute dans un délire psychédélique suite à l'infinité de lumières de Yayoi Kusama. Un matin brumeux, j'embarque à bord d'un ferry pour Naoshima sans vraiment savoir à quoi m'attendre mais j'arrive à bon port. Quelques installations (pas les plus réussies mais très prisées pour les selfies), de jolies et rustiques maisons en bois dont on ressent l'usure et l'histoire - beaucoup de maisons se retrouvent abandonnées, les plus jeunes étant attirés comme des mouches vers la grande toile d'araignée tokyoite, la population de l'île est vieillissante et décroissante - et un bus plus tard, me voici face à un torii, portail shinto marquant la séparation entre le monde physique et le monde spirituel, prenant racine dans le sable avec vue sur la mer intérieure de Seto.



Le ciel est gris, la lumière est douce, les tons oscillent entre le gris et l'or, la mer est calme, les discrets visiteurs se comptent sur les doigts de deux mains, l'atmosphère est sereine. Le gros légume jaune parsemé de pois au loin, nous attire comme des aimants et on a tous un peu la même fascination mêlée de respect, on le mitraille de photos mais dans un silence presque religieux, la vedette de l'île ne se prend pas le chou, elle est ronde, paisible, solaire, facile d'accès; elle parle à tout le monde. Une fois ces vitamines avalées, tous les autres touristes entament le marathon des musées mais moi j'ai envie de minéraux et me balade sur la plage qui regorge de trésors naturels, entre coquillages à ramasser ou à observer lorsque le mollusque est d'humeur sociable et puis je suis littéralement médusée par la beauté du motif qui se dessine sur la texture gélatineuse de l'animal marin. La découverte continue entre nature et installations d'art en plein air, entre Nikki de Saint Phalle, faune et flore. 



Emerveillée et ressourcée, je me mets à la recherche du premier musée et hôtel de l'île mais je n'aperçois pas le bout de son nez  au milieu de la luxuriante végétation, après quelques détours et une bonne montée, j'arrive enfin à la Benesse House, effacée de loin mais au caractère bien trempé une fois approchée. Il est impossible d'avoir une image entière du bâtiment qui dévoilera ses diverses facettes au fur et à mesure de l'expérience sans jamais se montrer en entier. De la pierre, du verre et puis beaucoup de béton, Tadao Ando n'a pas oublié son matériau fétiche bien qu'on soit entouré de forêt. Un peu surprenant au début et puis on se laisse vite bercer par la tranquillité des lieux, la froideur se transforme en douceur, l'architecture d'un premier abord déstabilisante accompagne  finalement on ne peut mieux les oeuvres d'arts (entre le bleu de Sam Francis ou le rosé de Rei Nato) ... et la nature environnante. 


Souvent l'art nous fait rêver ou bien réfléchir, ici il éveille mes sens, je suis dans le moment présent et pleinement consciente. Quand Tadao Ando parle d'architecture comme "un langage universel, une affaire de géométrie mais aussi de spiritualité. Selon les circonstances, on peut choisir un carré ou un triangle, mais, au fond, le résultat de tout cela doit être un lieu qui parle au coeur des humains" il a tout bon, le papier colle parfaitement à la réalité. Je n'ai jamais vu de musée sublimer autant les oeuvres d'art elles-mêmes, l'architecture, la verdoyante nature environnante, la mer et le ciel. Le célèbre architecte originaire d'Osaka "aime les espaces nus, les plans libres, les volumes simples et [il] travaille beaucoup l'idée de transition. Entre le dedans et le dehors, la nature et le construit, l'individu et le monde. [Ses] architectures sont ouvertes au vent, à la lumière et à l'ombre". L'espace créé nous permet non pas de nous focaliser sur une oeuvre puis une autre, mais à l'inverse de considérer tout ce qui nous entoure, ce qui est crée par l'homme, ce qui est offert par la nature, ce qui est plutôt durable, ce qui varie sans cesse comme la lumière ou bien la forme des nuages dans le ciel. D'ailleurs les rayons de soleil percent tout doucement les nuages pour diffuser une lumière plus chaude. Je ressors de la Benesse House (la partie musée uniquement, je ne pouvais pas m'offrir le luxe d'une nuit dans ce lieu d'exception) (remarque la vue depuis ma tente n'a presque rien à lui envier) encore plus apaisée et... éveillée. Me voilà prête pour aller un peu plus loin dans l'exploration, une plage déserte (bon, d'accord elles l'étaient toutes) m'appelle pour tremper les jambes dans l'eau très fraiche et savourer la douce chaleur du soleil sur ma peau nue. 


Hiromi Hiromi… Comment raconter, comment commencer… J'ai rencontré tellement de belles personnes durant mon voyage au Japon, via Couchsurfing, dans des temples bouddhistes, au petit resto du coin, dans la forêt, dans les toilettes d'un supermarché... et puis en faisant de l'auto-stop. La fin de mon aventure à Kyushu arrivant, il est temps de mettre le cap vers le Nord direction Honshu mais cette fois-ci du côté de la mer du Japon, région peu densément peuplée, rurale, là où beaucoup de Japonais n'ont jamais été « parce qu'il n'y a rien », oh tiens c'est justement ce qui m'intéresse... découvrir ce qu'est ce rien - d'ailleurs il s'avérera que ce rien est une richesse infinie de beauté naturelle, culturelle, culinaire... et humaine. Me voilà donc sur un parking le pouce en l'air avec une pancarte « Matsue – Izumo taisha » , sans plans, peu d'informations, mais beaucoup de curiosité et l'envie d'explorer de ce côté. Après beaucoup d'attente, de l'indifférence, de la curiosité, quelques mots et beaucoup de sourires, quelqu'un s'approche timidement et me demande si je veux bien aller à Izumo taisha, chez lui, là où il est né, là où il vit ainsi que ses trois cousins installés dans le minibus juste à côté. Etonnés qu'une gaijin fasse de l'auto-stop vers leur ville natale, éloignée de tout, à 444 kilomètres d'ici, ils me proposent de me joindre à eux. Les paysages défilent, les heures passent et Junichi m'invite chez lui, avec sa femme, son père et ses 3 chats. Une fois de plus, j'accepte – je ne dis pas souvent non depuis que je suis au Japon. Il est tard mais Hiromi, l'épouse de Junichi, nous attend sur le pas de la porte pour nous accueillir, on partage un thé devant la télé, les échanges sont timides et il faut bien l'avouer, limités par la barrière de la langue mais le tout dans une ambiance bienveillante. Après une bonne nuit de sommeil, on visite les environs avec Junichi, entre promenade le long des falaises menant au plus grand phare du Japon et sanctuaires shinto dont le grand et célèbre Izumo taisha, lieu de rencontres des divinités. En rentrant, on retrouve Izumi en cuisine, je lui pose plein de questions sur ses astuces culinaires, ses goûts, son enfance; son visage s'illumine d'un sourire beau, timide, sincère. Elle est d'une patience sans limite et d'une bonté extrême. Nous ne parlons pas la même langue mais nous nous comprenons avec quelques basiques de japonais ou d'anglais, parfois avec l'aide d'internet, mais surtout avec les gestes, le regard… et le coeur. La timidité, la réserve laissent place tout doucement à une ouverture du coeur immense, à des pupilles pétillants de joie, à une émotion spéciale, à un lâcher-prise presque total. C'est fou comme ce couple sans enfants m'a émue, je suis tellement reconnaissante de les avoir rencontré, Hiromi et Ichigo, le papa, la tante, les cousins et les chats plus mignons et plus timides ça n'existe pas. Le Japon a été incroyablement hospitalier envers moi, merci pour toutes ces portes ouvertes, pour tous ces coeurs offerts. Je ne trouve pas les mots justes pour décrire cette générosité, cette complicité, ce truc particulier, alors je vous laisse attraper votre tablier et les planches à découper. Ce soir, on mange à la maison, une cuisine simple, traditionnelle et faite avec amour, c'est le kateriori. Hiromi a appris à cuisiner ces plats très jeune avec sa grand-mère qui était une excellente cuisinière, me dit-elle les yeux remplis de fierté et d'une douce mélancolie.



C'est l'heure du dîner ou ban gohan no ji kan comme on dit au Japon. Le caractère chinois 御飯 (gohan) signifie bol de riz mais aussi repas, car ces deux là font bien la paire et se donnent rendez-vous 3 fois par jour. L'un ne va pas sans l'autre, on commence donc la préparation tout naturellement avec le riz.

Zakkoku mai:

- riz blanc et rond japonais (akitakomachi est une variété réputée à un prix décent)
- zakkoku (mélange de diverses graines et céréales comme le riz rouge, quinoa, millet, sésame, haricots noirs… selon vos envies)

Faire cuire le riz (après l'avoir lavé et massé au moins 3 fois) et le mélange zakkoku selon les indications du paquet dans un donabe, ricecooker ou casserole. Le mélange du riz blanc avec autres graines et céréales constitue un excellent apport en protéines, fibres et autres bons nutriments.



Continuons avec le soja, un des aliments favoris de Hiromi, qui encore une fois, associé avec le riz est le meilleur allié pour faire le plein de protéines végétales. L'okara, pulpe récupérée après fabrication de lait de soja ou de tofu, est l'ingrédient clé pour ce met d'accompagnement qui répond au doucereux nom de unohana.

Unohana:

- un oignon
- une carotte
- deux champignons shiitake
- 1/4 de gingembre (plus ou moins selon la taille et votre goût)
- un petit bol d'okara (pulpe de soja)
- un petit bol de dashi (maison ou acheté sous forme de poudre puis dilué dans de l'eau)

Coupons un oignon, une carotte et un peu de gingembre en petits dés, les champignons shiitake en très fines lamelles. Dans le même ordre, faisons sauter le tout et ajoutons l'okara dans la casserole ainsi qu'un petit bol de bouillon dashi. Laissons le tout mijoter à feu moyen durant 20 à 30 minutes.


Riz, céréales, soja, vient au tour des légumes pour continuer sur une lignée équilibrée.


Hulu to takenoko no takiawase:

- fuki (jeunes pousses de pétasite du Japon… partez à la cueillette dans la forêt)
- pousses de bambou
- katsuoboshi (petits copeaux de bonite séchée, fermentée et fumée)
- dashi

Les pousses de fuki (à cueillir lorsqu'elles sont encore jeunes) ont un goût astringent très prononcé, afin de l'éliminer, on utilise la technique aku-nuki qui consiste à faire bouillir les légumes pendant une minute dans de l'eau salée puis les rincer immédiatement sous l'eau froide afin de conserver leur couleur. Ensuite, mettons à bouillir un peu d'eau avec deux bonnes cuillères à soupe de dashi, ajoutons les pousses de fuki, les pousses de bambou et 2 cuillères à soupe de katsuoboshi. Laissons cuire le tout à feu moyen pendant 15 minutes.


Des céréales, des légumineuses, des légumes, cela suffirait pour un repas sain et complet mais n'oublions pas qu'on se trouve du côté de la mer du Japon, très réputée pour ses poissons.

Karei no nitsuke :

- 2 limandes ou flétans
- anzushu (alcool d'abricot)
- 1/4 de gingembre frais
- sel
- sauce soja

Faisons bouillir un peu d'eau et de gingembre frais coupé en petit morceaux dans une poêle. Ajoutons une bonne cuillère à soupe d'alcool d'abricot. Ajoutons les poissons préalablement coupés en deux ainsi que deux pincées de sel. Ecumons. L'eau diminue, arroser le poisson du bouillon, petit à petit. Faisons un trou au milieu d'un papier absorbant pour recouvrir les poissons. Arrosons les de 3 cuillères à soupe de sauce soja, et laissons cuire à feux doux pendant 10 petites minutes.



Et parce qu'un dîner japonais sans tofu n'existe pas…

Atsuage no miso dare :

- un ou deux « steack » épais de tofu frit (atsuage)
- sauce miso

Faisons sauter le tofu, puis coupons le en 4 dans sa longueur. Assaisonnons d'une sauce miso.

Vous vous rappelez avec Aya, on a appris qu'un vrai repas japonais est toujours constitué de deux bols, un de riz, un autre de bouillon. Ce soir ne fera pas exception, préparons une soupe miso
La recette de base se trouve ici, et vous pouvez remplacer le tofu frit par du tofu soyeux, par exemple.

Bonus

Pour les gourmands, on peut ajouter des edamame et cacahuètes fraiches après les avoir cuits (séparément) dans de l'eau bouillante.

Et voilà c'est prêt, vous savez tout de ces recettes transmises de génération en génération, mettons nous à table en famille, dans la joie et la bonne humeur.


EDIT: J'ai oublié d'expliquer le second mot de ce titre, titre qui m'a été bien difficile à trouver et qui m'est apparu comme une évidence au moment de poster l'article. O mo te na shi, un mot bien difficile à expliquer dans notre société occidentale, tant il est ancré et spécifique à la culture nippone. Il est souvent traduit et réduit (même si tout cela est déjà beaucoup) à l'hospitalité, au divertissement et au service irréprochable, ce qui nous donne la devise de nombreuses marques japonaises. Les serviettes humides et chaudes offertes en début de repas et le thé resservi (gratuitement) avant même que votre bol ne soit vide en sont les parfaits exemples dans le monde de la restauration. Omotenashi, dans toute sa splendeur ou plutôt dans son effacement, est un état d'esprit; accueillir en se donnant pleinement à l'autre, en pensant au confort de l'autre avant le sien, en anticipant toutes les envies de l'autre avant même qu'il n'y pense. Lorsque c'est fait avec sincérité et dans la règle de l'art, l'invité ne ressent pas un effort particulier de la part de son hôte (même si la notion hôte/invité n'existe pas au Japon). Ça peut nous paraître extrême à nous occidentaux mais les Japonais le font pour passer un moment agréable et privilégié avec l'autre. Cet état d'esprit trouve son origine dans le bouddhisme zen et dans la cérémonie du thé, un proverbe bouddhiste bien célèbre "ichigo ichie" (littéralement "une chance, une rencontre") signifie que toute rencontre ne se produit qu'une seule fois et que nous devons donc en profiter pleinement et sincèrement. D'où l'importance, d'être totalement présent avec son convive.

Hiromi & omotenashi

mercredi 5 août 2015


Hiromi Hiromi… Comment raconter, comment commencer… J'ai rencontré tellement de belles personnes durant mon voyage au Japon, via Couchsurfing, dans des temples bouddhistes, au petit resto du coin, dans la forêt, dans les toilettes d'un supermarché... et puis en faisant de l'auto-stop. La fin de mon aventure à Kyushu arrivant, il est temps de mettre le cap vers le Nord direction Honshu mais cette fois-ci du côté de la mer du Japon, région peu densément peuplée, rurale, là où beaucoup de Japonais n'ont jamais été « parce qu'il n'y a rien », oh tiens c'est justement ce qui m'intéresse... découvrir ce qu'est ce rien - d'ailleurs il s'avérera que ce rien est une richesse infinie de beauté naturelle, culturelle, culinaire... et humaine. Me voilà donc sur un parking le pouce en l'air avec une pancarte « Matsue – Izumo taisha » , sans plans, peu d'informations, mais beaucoup de curiosité et l'envie d'explorer de ce côté. Après beaucoup d'attente, de l'indifférence, de la curiosité, quelques mots et beaucoup de sourires, quelqu'un s'approche timidement et me demande si je veux bien aller à Izumo taisha, chez lui, là où il est né, là où il vit ainsi que ses trois cousins installés dans le minibus juste à côté. Etonnés qu'une gaijin fasse de l'auto-stop vers leur ville natale, éloignée de tout, à 444 kilomètres d'ici, ils me proposent de me joindre à eux. Les paysages défilent, les heures passent et Junichi m'invite chez lui, avec sa femme, son père et ses 3 chats. Une fois de plus, j'accepte – je ne dis pas souvent non depuis que je suis au Japon. Il est tard mais Hiromi, l'épouse de Junichi, nous attend sur le pas de la porte pour nous accueillir, on partage un thé devant la télé, les échanges sont timides et il faut bien l'avouer, limités par la barrière de la langue mais le tout dans une ambiance bienveillante. Après une bonne nuit de sommeil, on visite les environs avec Junichi, entre promenade le long des falaises menant au plus grand phare du Japon et sanctuaires shinto dont le grand et célèbre Izumo taisha, lieu de rencontres des divinités. En rentrant, on retrouve Izumi en cuisine, je lui pose plein de questions sur ses astuces culinaires, ses goûts, son enfance; son visage s'illumine d'un sourire beau, timide, sincère. Elle est d'une patience sans limite et d'une bonté extrême. Nous ne parlons pas la même langue mais nous nous comprenons avec quelques basiques de japonais ou d'anglais, parfois avec l'aide d'internet, mais surtout avec les gestes, le regard… et le coeur. La timidité, la réserve laissent place tout doucement à une ouverture du coeur immense, à des pupilles pétillants de joie, à une émotion spéciale, à un lâcher-prise presque total. C'est fou comme ce couple sans enfants m'a émue, je suis tellement reconnaissante de les avoir rencontré, Hiromi et Ichigo, le papa, la tante, les cousins et les chats plus mignons et plus timides ça n'existe pas. Le Japon a été incroyablement hospitalier envers moi, merci pour toutes ces portes ouvertes, pour tous ces coeurs offerts. Je ne trouve pas les mots justes pour décrire cette générosité, cette complicité, ce truc particulier, alors je vous laisse attraper votre tablier et les planches à découper. Ce soir, on mange à la maison, une cuisine simple, traditionnelle et faite avec amour, c'est le kateriori. Hiromi a appris à cuisiner ces plats très jeune avec sa grand-mère qui était une excellente cuisinière, me dit-elle les yeux remplis de fierté et d'une douce mélancolie.



C'est l'heure du dîner ou ban gohan no ji kan comme on dit au Japon. Le caractère chinois 御飯 (gohan) signifie bol de riz mais aussi repas, car ces deux là font bien la paire et se donnent rendez-vous 3 fois par jour. L'un ne va pas sans l'autre, on commence donc la préparation tout naturellement avec le riz.

Zakkoku mai:

- riz blanc et rond japonais (akitakomachi est une variété réputée à un prix décent)
- zakkoku (mélange de diverses graines et céréales comme le riz rouge, quinoa, millet, sésame, haricots noirs… selon vos envies)

Faire cuire le riz (après l'avoir lavé et massé au moins 3 fois) et le mélange zakkoku selon les indications du paquet dans un donabe, ricecooker ou casserole. Le mélange du riz blanc avec autres graines et céréales constitue un excellent apport en protéines, fibres et autres bons nutriments.



Continuons avec le soja, un des aliments favoris de Hiromi, qui encore une fois, associé avec le riz est le meilleur allié pour faire le plein de protéines végétales. L'okara, pulpe récupérée après fabrication de lait de soja ou de tofu, est l'ingrédient clé pour ce met d'accompagnement qui répond au doucereux nom de unohana.

Unohana:

- un oignon
- une carotte
- deux champignons shiitake
- 1/4 de gingembre (plus ou moins selon la taille et votre goût)
- un petit bol d'okara (pulpe de soja)
- un petit bol de dashi (maison ou acheté sous forme de poudre puis dilué dans de l'eau)

Coupons un oignon, une carotte et un peu de gingembre en petits dés, les champignons shiitake en très fines lamelles. Dans le même ordre, faisons sauter le tout et ajoutons l'okara dans la casserole ainsi qu'un petit bol de bouillon dashi. Laissons le tout mijoter à feu moyen durant 20 à 30 minutes.


Riz, céréales, soja, vient au tour des légumes pour continuer sur une lignée équilibrée.


Hulu to takenoko no takiawase:

- fuki (jeunes pousses de pétasite du Japon… partez à la cueillette dans la forêt)
- pousses de bambou
- katsuoboshi (petits copeaux de bonite séchée, fermentée et fumée)
- dashi

Les pousses de fuki (à cueillir lorsqu'elles sont encore jeunes) ont un goût astringent très prononcé, afin de l'éliminer, on utilise la technique aku-nuki qui consiste à faire bouillir les légumes pendant une minute dans de l'eau salée puis les rincer immédiatement sous l'eau froide afin de conserver leur couleur. Ensuite, mettons à bouillir un peu d'eau avec deux bonnes cuillères à soupe de dashi, ajoutons les pousses de fuki, les pousses de bambou et 2 cuillères à soupe de katsuoboshi. Laissons cuire le tout à feu moyen pendant 15 minutes.


Des céréales, des légumineuses, des légumes, cela suffirait pour un repas sain et complet mais n'oublions pas qu'on se trouve du côté de la mer du Japon, très réputée pour ses poissons.

Karei no nitsuke :

- 2 limandes ou flétans
- anzushu (alcool d'abricot)
- 1/4 de gingembre frais
- sel
- sauce soja

Faisons bouillir un peu d'eau et de gingembre frais coupé en petit morceaux dans une poêle. Ajoutons une bonne cuillère à soupe d'alcool d'abricot. Ajoutons les poissons préalablement coupés en deux ainsi que deux pincées de sel. Ecumons. L'eau diminue, arroser le poisson du bouillon, petit à petit. Faisons un trou au milieu d'un papier absorbant pour recouvrir les poissons. Arrosons les de 3 cuillères à soupe de sauce soja, et laissons cuire à feux doux pendant 10 petites minutes.



Et parce qu'un dîner japonais sans tofu n'existe pas…

Atsuage no miso dare :

- un ou deux « steack » épais de tofu frit (atsuage)
- sauce miso

Faisons sauter le tofu, puis coupons le en 4 dans sa longueur. Assaisonnons d'une sauce miso.

Vous vous rappelez avec Aya, on a appris qu'un vrai repas japonais est toujours constitué de deux bols, un de riz, un autre de bouillon. Ce soir ne fera pas exception, préparons une soupe miso
La recette de base se trouve ici, et vous pouvez remplacer le tofu frit par du tofu soyeux, par exemple.

Bonus

Pour les gourmands, on peut ajouter des edamame et cacahuètes fraiches après les avoir cuits (séparément) dans de l'eau bouillante.

Et voilà c'est prêt, vous savez tout de ces recettes transmises de génération en génération, mettons nous à table en famille, dans la joie et la bonne humeur.


EDIT: J'ai oublié d'expliquer le second mot de ce titre, titre qui m'a été bien difficile à trouver et qui m'est apparu comme une évidence au moment de poster l'article. O mo te na shi, un mot bien difficile à expliquer dans notre société occidentale, tant il est ancré et spécifique à la culture nippone. Il est souvent traduit et réduit (même si tout cela est déjà beaucoup) à l'hospitalité, au divertissement et au service irréprochable, ce qui nous donne la devise de nombreuses marques japonaises. Les serviettes humides et chaudes offertes en début de repas et le thé resservi (gratuitement) avant même que votre bol ne soit vide en sont les parfaits exemples dans le monde de la restauration. Omotenashi, dans toute sa splendeur ou plutôt dans son effacement, est un état d'esprit; accueillir en se donnant pleinement à l'autre, en pensant au confort de l'autre avant le sien, en anticipant toutes les envies de l'autre avant même qu'il n'y pense. Lorsque c'est fait avec sincérité et dans la règle de l'art, l'invité ne ressent pas un effort particulier de la part de son hôte (même si la notion hôte/invité n'existe pas au Japon). Ça peut nous paraître extrême à nous occidentaux mais les Japonais le font pour passer un moment agréable et privilégié avec l'autre. Cet état d'esprit trouve son origine dans le bouddhisme zen et dans la cérémonie du thé, un proverbe bouddhiste bien célèbre "ichigo ichie" (littéralement "une chance, une rencontre") signifie que toute rencontre ne se produit qu'une seule fois et que nous devons donc en profiter pleinement et sincèrement. D'où l'importance, d'être totalement présent avec son convive.

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